La chanteuse à la palette multiple et au tempérament affirmé fait coup double avec un grand disque et des concerts renversants. Aller la voir sur scène, mardi à la Cigale et en tournée, est plus que vivement recommandé.
Peu importe que ses deux filles aient désormais dix-huit et quatorze ans. Ce jour-là, Clarika n’aurait sacrifié pour rien au monde à ce rituel familial : la chasse aux œufs de Pâques. Une fois la récolte achevée, on la retrouve dans un café de la rue d’Oberkampf, à quelques pas de son domicile. C’est une nana nature qui ne se la raconte pas. Chez elle, tout n’est que jovialité réjouissante, simplicité sans manière, lucidité savoureuse, optimisme et bienveillance. Du haut de ses quarante-neuf printemps, la femme est ce qu’il est convenu d’appeler une chanteuse chevronnée. En marge de sa pimpante discographie qui s’élève à sept unités, on l’aura vue ces dernières années jouer les invités sur l’album de duos de Michel Delpech, s’essayer à l’exercice du concert littéraire et s’acoquiner avec Daphné dans un spectacle enivrant (le souvenir de son interprétation renversante de La chanson de Paul de Reggiani est encore tenace). Artiste féminine majeure, précieuse et audacieuse, à défaut de populaire. D’ailleurs dans un élan facétieux, elle prend le degré de sa notoriété à rebrousse-poil et organise ses (premiers) adieux au Palace en 2010. « Je trouvais ça fun qu’une chanteuse pas très connue fasse semblant de tirer sa révérence. J’avais acheté près d’un millier de paquets de mouchoirs que j’avais personnellement customisés ».
Rupture amoureuse
Clarika vient de publier le sublime De quoi faire battre mon cœur. Disque bouleversant et saisissant de défaite amoureuse, né de sa rupture avec son alter-go, à la vie comme en chanson, Jean-Jacques Nyssen. Face à cette résonance si intime, difficile d’aborder la promotion sans une once d’appréhension. « C’est pour cela qu’on a décidé de ne pas tourner autour du pot et d’annoncer clairement les choses sur l’argumentaire de l’album. J’essaye de rester au stade des morceaux, de ce qu’ils racontent et de ne pas m’étendre sur mon histoire personnelle. Il faut se mettre à distance tout en restant impliquée, c’est un peu un dédoublement ».
“Max Guazzini avait complètement flashé sur la chanson”
La presse est unanime. Elle cite fréquemment les paroles marquantes de Je ne te dirai pas, chanson lancée en éclaireur qui a impulsé le reste de l’album. Hormis quelques-unes du service public dont France Inter, les radios freinent l’engouement. Elles font effet bouclier. Habituée à la sentence, Clarika ne cherche plus trop à y percer les raisons : « Ce sont des codes qui m’échappent. Je pense que je ne suis pas à l’image du format. A un moment donné, on n’est plus la nouveauté du moment et on n’est pas assez bankable pour être incontournable ». Seule exception à la règle à l’orée des années 2000, le suave et coquin Les garçons dans les vestiaires. Ce titre, agrémenté d’un clip subversif avec des rugbymen dénudés, avait bénéficié d’une rotation frénétique sur l’antenne de NRJ.
« Max Guazzini, qui était à l’époque directeur de cette radio et président du Stade Français, avait complètement flashé sur la chanson. J’allais au supermarché et je m’entendais ; c’était assez improbable »
Dans le jeu d’esprit des sept familles, on l’a souvent accolée à Zazie. Ces deux-là n’ont pas comme seul point commun d’adopter un prénom de substitution. Elles ont aussi un public quasi-similaire. « J’ai fait la première partie de sa tournée Rodéo il y a dix ans, trente-cinq dates dans des Zénith et deux Bercy. Où que j’aille maintenant, à chaque fois que je fais un concert il y a un tiers des gens qui me dit m’avoir découverte à cette occasion ».
Nouveau rendez-vous pris en fin de semaine. Cette fois-ci, l’épreuve de la scène. Clarika se produit dans un festival à Santes, ville de la banlieue lilloise. Pas besoin de faire durer le suspens, c’est un enchantement permanent. Elle interprète vingt chansons, pour moitié extraites de De quoi faire battre mon cœur. Sous un ciel de plumes, elle ouvre sur un Je suis mille franc du collier et qui sonne comme une déclaration d’intention. Rayonnante comme jamais, Clarika emporte tout sur son passage en une collection d’airs essentiels, une farandole de saveurs et un bouquet de sensations. Profondeur, sensibilité, séduction mutine, noirceur grinçante et abandon conquérant jaillissent à tour de rôle et avec le même éclat. La voix virevolte en reine abeille, les musiciens jouent soudés (époustouflante Fanny Rome, multi-instrumentiste), les arrangements appâtent par leur liberté et leur générosité. En vrac : l’intro arabisante de la chanson coup de poing Bien mérité, le final chamanique de Non ça s’peut pas, les chœurs africanisants de La cible, la rythmique cœur battant de Il s’en est fallu de peu, la légèreté acidulée de Moi en mieux, le dépouillement acoustique de Rien de nous. La chanteuse alterne des intermèdes d’une drôlerie pétulante et d’une malice gourmande. Glisse une version impressionnante du My Sweet Lord de George Harrison. Et ensorcelle d’un bout à l’autre, sans appel. Les ailes de Clarika claquent ici librement dans un horizon totalement dégagé.